Une amie, qui, je suis sûre, se reconnaîtra si elle lit cet article, m’a récemment dit en rigolant : « Mais arrête un peu, qu’est-ce que tu vas encore heal ? Il n’y a plus rien à heal ! » Je venais de lui dire que j’allais faire une séance avec une chamane qu’on m’avait vendue comme incroyable. Et ça m’a inspiré cet article.
Je n’avais pas prévu de commencer une thérapie cette année.
Mais quand on m’a recommandé une psy apparemment géniale, je me suis dit : pourquoi pas.
Il y avait des sujets récurrents qui commençaient à me peser, alors je me suis lancée. Mais une question me trottait quand même en tête : moi qui suis déjà très introspective, passionnée de développement personnel… est-ce que ça n’allait pas être trop ? À force de chercher, on trouve. Est-ce que j’avais vraiment besoin d’aller “me regarder le nombril” ?
Les boomers aiment nous rappeler que notre génération serait moins résiliente, plus “fragile”. Alors, est-ce qu’on a trop psychologisé nos vies ? Faut-il arrêter de travailler sur soi ?
Quand tout devient symptôme
Toutes les bonnes choses, en excès, deviennent néfastes. Le développement personnel est partout. Sur Instagram, TikTok, dans les livres, les podcasts… On parle d’inner child, de trauma, de boundaries, de healing. C’est une révolution pour beaucoup, mais cela pose aussi question.
J’ai récemment lu un article Substack de Freya India, intitulé “Nobody has a personality anymore”. Elle critique la domination du therapy-speak dans notre culture contemporaine. Ce langage thérapeutique serait devenu une nouvelle norme sociale, un filtre à travers lequel tout est interprété.
La psychiatre Anna Lembke, dans son article “Pathologizing Everything Is Not Empowerment”, met en garde contre cette dérive : transformer chaque émotion ou trait de personnalité en diagnostic.
Être rêveur devient un symptôme d’ADHD. Être solitaire, une forme d’autisme. Être anxieux, forcément le fruit d’un trauma d’enfance.
Ce qui était autrefois simplement humain devient médical.
“Quand tout est pathologie, plus rien ne l’est vraiment.”
Cela finit par créer une nouvelle norme : celle de l’auto-diagnostic permanent.
À force de vouloir “comprendre” nos émotions, on finit parfois par ne plus les ressentir.
“My grandma is a soul. I am a symptom.” — Freya India
Cette introspection permanente peut devenir une prison mentale.
Il ne s’agit plus de vivre, mais de s’observer. D’expliquer. D’optimiser.
Et surtout : ce besoin d’explication crée une demande infinie.
“Explain anything long enough and you will find a pathology.”
L’épuisement introspectif
Dans une société qui valorise la performance et la maîtrise de soi, l’introspection est devenue une norme implicite.
On la retrouve partout : dans les livres, les podcasts, les réseaux sociaux.
Même les algorithmes nous poussent à "devenir la meilleure version de nous-mêmes".
Mais il y a une frontière entre guérison sincère et narcissisme contemporain.
Ce moment où je deviens mon propre projet, au centre de tout, à décrypter, à optimiser, à raconter.
L’ère du “self as brand”.
Et à force, on peut tomber dans une forme d’épuisement introspectif :
un état où l’on est constamment en train de s’analyser, de se demander si l’on agit par blessure ou par intuition… au point de ne plus vraiment vivre.
On intellectualise tout, on psychologise tout, on ressent moins.
Il n’y a plus de spontanéité, juste un regard intérieur constant, presque anxieux, qui veut comprendre avant de vivre.
La journaliste Tara Isabella Burton, dans The Culture of Trauma, parle d’une génération qui, par peur de l’incompréhension ou du rejet, s’accroche à des étiquettes comme à des bouées.
Et puis il y a TikTok, où cette logique est amplifiée par l’algorithme.
Une enquête de Vox (How TikTok is reshaping mental health conversations) montre que les contenus les plus vus utilisent un langage psychologisant : trauma, TDAH, dépression…
Résultat : des ados (et pas que) finissent par se définir entièrement par leurs symptômes.
Comme si être “cassé” était devenu la condition pour être vu.
Pourtant, comprendre, c’est souvent guérir
Mais il serait trop facile, et franchement injuste, de rejeter en bloc cette culture psy.
L’article de Freya India manque, selon moi, de nuances.
Dans ce même espace numérique, il existe autre chose :
des mots qui apaisent, des contenus qui guident, des outils qui aident.
Moi la première, sur mon compte TikTok, je partage des conseils, des clés, des expériences.
Parce que je sais que ça peut aider. Parce que je l’ai vécu.
Parce qu’on a parfois besoin d’un cadre pour penser, d’une voix pour se recentrer, de motivation quand tout semble flou.
Le problème, ce n’est pas TikTok. Ce n’est pas la psychologie. Ce n’est pas l’introspection.
Le problème, c’est quand cela devient l’unique prisme de lecture.
Cette fatigue, ce sentiment de trop, est aussi un luxe.
Dans de nombreux milieux sociaux, culturels ou encore chez les hommes (désolée les mecs, mais c’est une réalité), on parle encore trop peu de bien-être mental.
Et si certains diagnostics paraissent “à la mode”, pour d’autres, ils représentent un immense soulagement.
Critiquer cette nouvelle lucidité et romantiser le passé, c’est oublier à quel point le silence faisait mal.
Avant, on ne “se posait pas de questions”, c’est vrai. Mais on ne se comprenait pas non plus.
On souffrait dans l’ombre.
Or, se taire n’a jamais été synonyme de bonheur.
Le Dr Gabor Maté rappelle que nommer une souffrance peut aider à guérir.
La “culture psy” a émergé pour combler un vide : longtemps, la souffrance mentale a été ignorée, ou pire, moquée.
Alors oui : découvrir qu’on a le droit d’aller mal, que ce n’est pas une faiblesse mais une réalité humaine, c’est profondément libérateur.
Dans The Rise of Therapy-Speak, publié par The New Yorker, les psychologues interrogés ne semblent pas particulièrement inquiets face à cette évolution.
S’ils reconnaissent un risque de pathologisation, ils préfèrent cela à la peur et à la honte d’avant.
Au final, par exemple, la thérapie m’a énormément aidée.
Elle m’a permis de mieux me comprendre, d’accepter ma réalité, de dire des vérités enfouies, de voir les choses sous un autre angle. Se libérer du passé, des autres.
Mieux me connaitre m’a redonné une confiance en moi que j’avais perdue.
Tendre vers le mieux, tout en s’acceptant tel que l’on est.
Un retour à soi.
Un bouton pause sur un mode automatique qui n’est plus toujours le bon.
Et les livres de développement personnel ? Ils m’ont donné des outils. Des clés. De la force.
Mais comme tout, à haute dose, ça fatigue.
Si tu ne lis que ça, tu finis par croire que tu es un problème à résoudre.
Laisser de la place à la vie
Notre époque a un besoin compulsif de sens, dans un monde qui en manque parfois cruellement. On veut comprendre ce qu’on ressent, maîtriser ce qu’on traverse, optimiser ce qu’on est. Sauf que, désormais, même “prendre soin de soi” est devenu une injonction. Une quête de performance.
On nous dit de ralentir, mais on nous pousse à optimiser.
On nous parle de boundaries, mais on nous rend juste plus individualistes au nom du self-care.
On nous parle d’alignement comme d’un objectif à atteindre, sans jamais dire qu’il est normal de se sentir paumé.
À force de vouloir tout expliquer, tout guérir, tout contrôler…
On finit par oublier quelque chose de précieux : la spontanéité.
L’imprévu. Le flou.
Ce qui ne se planifie pas. Ce qui ne se comprend pas.
Et à force, on oublie de laisser de la place à la vie.
La vraie vie.
Celle qui déborde, qui déçoit, qui surprend.
Celle qui ne se maîtrise pas.
Celle où on ne va pas toujours mieux.
Alors oui, dire non est important.
Mais parfois, il faut aussi savoir dire oui :
Oui à ce qui est flou.
Oui à ce qui ne sert à rien, mais qui fait du bien.
Oui à l’inutile. À l’inattendu. À l’instant.
Passer du “travailler sur soi” à “apprendre à vivre avec soi”
Faut-il arrêter de travailler sur soi ? Non.
Mais peut-être faut-il arrêter d’en faire un objectif permanent.
Accepter d’être parfois en désordre.
Arrêter de se lire comme un symptôme.
Et commencer à se vivre comme un humain, avec toute la complexité que cela implique.
On ne saura jamais tout de nous, et c’est tant mieux.
Il y a de la beauté dans ce qui reste flou.
Du calme dans ce qu’on ne cherche plus à parfaire.
Et parfois, le plus beau travail qu’on puisse faire,
c’est juste : se laisser tranquille.
Surfer la vague, au lieu de vouloir la contrôler.
Aimer sans chercher à comprendre.
Accepter.
Laisser la place au mystère, aux histoires, aux contradictions.
Mieux vaut être un humain un peu paumé
qu’un simple symptôme bien classé.
Comme tout, c’est une question d’équilibre : entre se comprendre et se laisser tranquille, entre regarder en soi et être là, juste là.
Travailler sur soi, oui. Mais ne pas en oublier de vivre.
xx
Elodie
Beaucoup aimé ta newsletter surtout le passage sur la nécessité de laisser du flou. La vie quoi.
Excellent et pertinente réflexion. Merci Élodie 🫶🏼